Lauréat 2023

OFRANEH

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COMMUNIQUÉ DE PRESSE

L’OFRANEH, lauréate du Prix Entreprises et Droits Humains 2023

La Fondation du Prix Entreprises et Droits Humains

Genève, le 28 novembre 2023

photo : Seth Sidney Berry/SOPA Images/Shutterstock

À l’occasion du Forum annuel des Nations Unies (ONU) sur les entreprises et les droits de l’homme, notre fondation vient de décerner le Prix Entreprises et Droits Humains 2023 à l’OFRANEH (Organización Fraternal Negra Hondureña / Organisation fraternelle noire du Honduras). Ce prix salue le « travail exceptionnel d’associations de défense des droits humains qui luttent contre les atteintes à ces droits perpétrées par les acteurs économiques ».

Fondée en 1979, l’OFRANEH défend les droits humains des communautés autochtones garífunas au Honduras, agit pour assurer leur survie en tant que peuple différencié et les défend contre l’accaparement de leurs terres ancestrales par des intérêts privés. Dirigée par un conseil d’administration essentiellement féminin avec une approche fortement antiraciste, l’organisation n’a plus à faire ses preuves en matière de défense des droits.

Dans une déclaration commune publiée ce jour, les membres du conseil d’administration de la fondation (Christopher Avery, Regan Ralph et Valeria Scorza) justifient ainsi leur choix : « Nous sommes très heureux que le prix 2023 ait été décerné à l’organisation exceptionnelle qu’est l’OFRANEH. Depuis des décennies et au péril de leur vie, ses courageuses équipes œuvrent à la défense des droits humains du peuple garífuna au Honduras. »

Fernanda Hopenhaym, membre du comité consultatif de la fondation, co-directrice exécutive de PODER (Mexique) et membre du Groupe de travail des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme, a réagi ainsi à l’annonce : « Au fil des ans, j’ai appris à connaître bon nombre des femmes et des hommes qui tiennent les rênes de l’OFRANEH, ils nous montrent l’exemple par leurs actions et savent préserver leur intégrité face à des enjeux colossaux ».

Les Garífunas sont un peuple issu du métissage entre autochtones arawaks et noirs africains. Ils parlent le garífuna et le créole vincentien. Ce peuple vit de ses terres, notamment de l’agriculture vivrière et de la petite pêche.

La revendication ancestrale des Garífunas sur leurs terres au Honduras remonte à 1797. Il faudra attendre 1887 et 1901 pour que l’État du Honduras commence à reconnaître le territoire ancestral par l’octroi de titres de propriété communale. L’OFRANEH constate que l’État lui-même, en accordant les terres à des tierces parties malgré l’existence des titres de propriété est en violation des droits ancestraux des communautés.

photo : William Gray/agefotostock

Sur fond de violence et de faiblesse de l’État, l’OFRANEH défend l’autodétermination et les modes de vie traditionnels des Garífunas, protège leurs droits économiques, sociaux et culturels, et lutte contre leur déplacement. « Les Garífunas sont déplacés de force de leurs belles terres traditionnelles situées le long du littoral caraïbe du Honduras. Nos moyens d’existence sont menacés par l’expansion du tourisme mondial, les plantations de palmiers d’Afrique, les soi-disant « zones spéciales d’emploi et de développement » (ou « villes modèles »), et les cartels de drogue qui acheminent de la cocaïne par nos territoires… Nous sommes également menacés par la multiplication des résidences de retraite clôturées, financées par des intérêts américains et canadiens, sans compter les projets d’exploitation minière et hydroélectrique financés, pour certains, par des banques de développement », déclare Miriam Miranda, coordonnatrice générale élue de l’OFRANEH.

Miriam Miranda, coordonnatrice de l’OFRANEH

Des membres de l’OFRANEH ont été harcelés, menacés, battus, kidnappés et tués, souvent pour s’être défendus contre l’accaparement de leurs terres et lors de conflits de territoires.

« La violence et la force physique sont systématiquement utilisées pour menacer les moyens de subsistance des communautés garífunas », conclut un rapport publié en 2016 par le Council on Hemispheric Affairs. Dans un autre rapport publié en 2017, intitulé Honduras : l’endroit le plus meurtrier pour défendre la planète, l’ONG Global Witness fait état du « niveau choquant de violence et d’intimidation » subi par les communautés rurales et autochtones qui « protestent contre la mise en place forcée de barrages, de mines, d’exploitations forestières ou agricoles – autant de projets contrôlés par des élites riches et puissantes, dont certains membres de la classe politique. Les causes profondes de ces abus résident dans une corruption généralisée et l’absence de concertation avec les personnes touchées par ces projets. Nulle part ailleurs dans le monde risque-t-on autant d’être tué pour avoir protesté contre le vol des terres et la destruction de la nature qu’au Honduras. » Le même rapport révèle que « 123 militants ont été assassinés au Honduras depuis le coup d’État de 2009 pour avoir défendu les terres et l’environnement ; d’innombrables autres personnes ont été menacées, attaquées ou séquestrées. »

L’OFRANEH œuvre pour la défense des droits et des terres ancestrales du peuple garífuna à tous les échelons – local, national, régional et international.

En 2003, l’OFRANEH a adressé une pétition à la Commission interaméricaine des droits de l’homme (un organe de l’Organisation des États Américains) afin de présenter trois affaires concernant les Garífunas devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Les plaintes contenaient des informations détaillées sur des années de violations des droits humains par l’État hondurien et certains acteurs économiques. Les Garífunas y affirmaient n’avoir jamais donné leur « consentement préalable, libre et éclairé » (exigé par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones) avant la mise en chantier de projets de développement. En 2015, deux décisions ont été rendues sur ces affaires par la Cour interaméricaine des droits de l’homme, laquelle a :

  • jugé l’État hondurien responsable de violation des droits de propriété collectifs des Garífunas et de privation des protections judiciaires appropriées ;
  • confirmé l’importance du consentement préalable, libre et éclairé ;
  • et ordonné réparation, notamment sous la forme d’une déclaration publique de responsabilité, de titres de propriété foncière collective et de protections futures des terres ancestrales.

Malgré ces décisions de la Cour interaméricaine, l’OFRANEH constate une montée considérable de la pression exercée sur les communautés garífunas et leur territoire depuis 2014. Par exemple :

  • Manifestation pour le respect des décisions de la Cour interaméricaine et le retour des « disparus » de Triunfo de la Cruz

    En juillet 2014, des hommes armés ont kidnappé et menacé d’une arme à feu la directrice de l’OFRANEH Miriam Miranda et quelques collègues. Les victimes ont été libérées plus tard dans la journée et les hommes armés se sont enfuis.

  • Entre 2016 et 2019, trois défenseurs de la communauté de Masca (Omoa) ont été assassinés.
  • En juillet 2020, le président de la communauté de Triunfo de la Cruz Snaider Centeno et trois autres militants locaux ont « disparu ». Plus de 30 hommes lourdement armés, vêtus de l’uniforme de la police hondurienne seraient venus les chercher et, prétendant appartenir à la Direction des enquêtes, les auraient arrêtés. Ils n’ont pas été revus depuis. L’OFRANEH a créé le Comité d’enquête et de recherche des disparus de Triunfo de la Cruz (SUNLA) dans le but de retrouver ces hommes, d’identifier leurs kidnappeurs et d’exiger que justice soit faite pour les victimes et leurs familles.
  • En mars 2021, Marianela et Jennifer Solórzano, deux sœurs, ont été mises en détention, accusées d’avoir « usurpé » des terres de la société Bienes y Raíces Juca SRL qui prévoyait des constructions immobilières sur les territoires ancestraux des Garífuna.
  • En 2022, la présidente du conseil d’administration de la communauté Nueva Armenia a reçu plusieurs menaces de mort.
  • Fin 2022, des membres du Comité de défense des terres de Triunfo de la Cruz ont été persécutés, menacés et sommés de quitter leur communauté dans les 24 heures.
  • Melissa Martínez, Dorotea Arzú, Keyder Tishany González, battues et emprisonnées lors de leur expulsion violente de la communauté de Punta Gorda

    En novembre 2022, la communauté de Punta Gorda (Roatán) a été violemment chassée de ses terres par la police nationale, les forces armées et la Direction des enquêtes de la police. La coordonnatrice locale de l’OFRANEH Melissa Martínez et cinq autres personnes ont été emprisonnées. Soixante-cinq autres membres de la communauté ont été sérieusement blessés. La communauté garífuna de Punta Gorda fut la première à être fondée au Honduras, en 1797, avant que le pays ne devienne une république en 1821.

  • En 2023, deux défenseurs de la communauté de Triunfo de la Cruz ont été assassinés.
  • Tôt dans la matinée du 19 septembre 2023, au moins quatre individus lourdement armés sont entrés dans la communauté de Vallecito (Colón) et ont encerclé la maison de Miriam Miranda. L’équipe de sécurité de la coordonnatrice a exigé que ces inconnus déclinent leur identité, mais ils se sont enfuis. Des témoins les ont entendu dire qu’ils « finiraient le travail » la prochaine fois. Le 21 septembre, leHaut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a publié une déclaration exprimant son inquiétude quant au risque qui pèse sur Miriam et à l’absence de révision des mesures prises pour assurer sa sécurité, notamment après les trois dernières menaces à son endroit. Le HCDH y observait que la session du Comité technique du Mécanisme de protection mis en place par le gouvernement du Honduras, programmée le 20 septembre pour revoir le plan de protection de Miranda, n’avait pas eu lieu en raison de l’absence de trois des quatre autorités/organismes gouvernementaux qui constituent le Comité. Le HCDH appelait le gouvernement du Honduras à renforcer à la fois son engagement à la protection des défenseurs des droits humains menacés et les mesures prises dans ce sens. Dans une déclaration publiée le 20 septembre, le Réseau nord-américain de solidarité avec le Honduras a condamné l’agression contre Miriam : « Depuis de nombreuses années, la liste d’agressions contre Miriam ne cesse de s’allonger, tandis que la liste d’individus punis pour ces actes est non existante ». La déclaration appelait à :
    • la fin de l’impunité et la traduction en justice de tous les auteurs des attaques contre les défenseurs des droits des Garífunas ;
    • la mise en place de formes de protection supplémentaires pour Miriam ;
    • l’application par le Honduras des décisions de la Cour interaméricaine des droits humains demandant la fin des violations des droits fonciers et culturels des Garífunas et la restitution des terres volées.

Selon l’OFRANEH, toutes les violations et les menaces exposées ci-dessus découlent de l’occupation illégale des territoires garífunas par des tierces parties agissant avec le soutien de l’État hondurien.

Une grande partie des terres communales des Garífunas a été acquise par des sociétés immobilières, en majorité canadiennes. En 2007, l’entreprise de développement de Randy Jorgenson, Life Vision Properties, a débuté une campagne d’acquisition des terres aux abords de Trujillo pour construire un terminal de bateaux de croisière et des résidences de retraite clôturées destinées aux Nord-Américains. Avec le soutien de l’OFRANEH, les communautés garífunas ont dès le début protesté contre ces acquisitions et ces projets au motif qu’elles n’ont à aucun moment eu la possibilité de donner leur accord pour la vente de leurs terres communales, et que l’auteur de la « vente » de ces terres a agi sans légitimité.

« Les défenseurs et défenseuses des droits humains sont plus menacés que jamais à l’heure actuelle parce que notre gouvernement veille aux intérêts des capitaux transnationaux dans nos territoires et l’État ne garantit pas la protection de celles et ceux qui défendent nos droits » a déclaré Miriam Miranda en 2017.

En juillet 2021, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) au Honduras et la Commission interaméricaine des droits de l’homme ont appelé le gouvernement du Honduras à mettre fin à la criminalisation et au harcèlement des défenseurs garífunas des droits humains, en particulier de celles et ceux qui défendent leurs terres ancestrales et leurs ressources naturelles. Ils l’ont également pressé d’intensifier les actions menées pour assurer le respect des communautés garífunas et garantir leurs droits à leurs terres, leurs territoires et leurs ressources naturelles. Le HCDH fait état d’agressions contre 120 défenseurs des droits humains au Honduras entre janvier et août 2022, dont 78 défenseurs de l’environnement et des terres.

Des membres de la communauté produisent de l’huile de coco à Vallecito

À Vallecito (Colón), l’OFRANEH a organisé le plus grand programme de souveraineté alimentaire au Honduras. Plus de 100 hectares de cocotiers ont été plantés pour nourrir les communautés garífunas. Le programme prévoit aussi la production d’huile de coco et autres dérivés.

L’OFRANEH a également fait la promotion de neuf maisons de médecine traditionnelle chargées de veiller à la santé globale des communautés « en mobilisant les savoirs ancestraux, les pratiques et les connaissances liés au bien-être du corps et de l’esprit, à l’environnement et aux croyances des membres des communautés garífunas ».

« Sans nos terres, nous cessons d’être un peuple. Nos terres et nos identités sont fondamentales pour nos  vies, nos milieux aquatiques, nos forêts, notre culture, notre patrimoine commun, nos territoires. Pour nous, la défense de nos territoires, de notre patrimoine et de nos ressources naturelles est d’une importance primordiale pour notre sauvegarde en tant que peuple » déclarait Miriam Miranda en 2015.

Le travail remarquable de l’OFRANEH a été récompensé par de nombreux prix :

  • 2015 : Miriam Miranda, responsable de l’OFRANEH est co-lauréate du Prix Óscar Romero « en reconnaissance d’un travail héroïque dans le domaine des droits humains », aux côtés de la dirigeante autochtone hondurienne Berta Cáceres (assassinée en 2016). Le prix porte le nom de l’archevêque Óscar Romero, assassiné en 1980 après des années de dénonciation des violations des droits humains par le gouvernement militaire du Salvador.
  • 2016 : L’OFRANEH reçoit le Premio Nota SOL, décerné « pour saluer et encourager les groupes qui mènent, ou ont mené par le passé, des actions, des initiatives et des projets au service du renforcement de la culture des peuples autochtones, de la défense de leurs droits humains universels et du développement durable. »
  • 2016 : Le prix environnemental Carlos Escaleras est décerné à Miriam Miranda en reconnaissance de son travail auprès de l’OFRANEH. Il porte le nom d’un défenseur hondurien de l’environnement et des droits humains assassiné à l’âge de 39 ans.
  • 2019 : Miriam Miranda reçoit le prix de la Fondation Friedrich Ebert pour ses longues années d’engagement au service des droits des peuples autochtones, des droits des femmes et de la protection environnementale.
  • 2021 : Le Prix Letelier-Moffitt des droits humains décerné par l’Institute for Policy Studies est remis à l’OFRANEH en reconnaissance des « héros souvent méconnus, de part et d’autre de l’hémisphère, qui luttent pour défendre les droits économiques, culturels, sociaux et civils ». Le prix honore Orlando Letelier et Ronni Karpen Moffitt, assassinés par le régime de Pinochet en raison de leur engagement en faveur de la démocratie et des droits humains au Chili.
Réunion de l’OFRANEH pour sensibiliser à la défense des droits humains et à la nécessité de poursuivre la lutte pour la survie du peuple garífuna

Liste complète des nominés pour le prix 2023

Liste des organisations nominées pour le Prix Entreprises et Droits Humains 2023 par les membres du comité consultatif de la fondation. Chacune de ces organisations réalise un travail fondamental et mérite une reconnaissance internationale.

  • Corporacion Colectivo de Abogados José Alvear Restrepo – CAJAR (Colombie)
  • Fuerza de Mujeres Wayuu (Colombie)
  • Observatorio Ciudadano (Chili)
  • Organización Fraternal Negra Hondureña – OFRANEH (Honduras) – LAURÉATE
  • Pytyvohára Sauce Platform – PSP (Paraguay)
  • R3D – Red en defensa de los derechos digitales (Mexique)

Le prix change de région chaque année : après l’Amérique latine et les Caraïbes en 2023, il sera décerné à une organisation de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord en 2024.

À propos de la fondation

La Fondation du Prix Entreprises et Droits Humains est une fondation indépendante à but non lucratif. Afin de préserver son indépendance, elle n’accepte aucun don de la part de gouvernements ou d’entreprises. Cette page présente les membres du comité consultatif de la fondation, originaires des quatre coins du monde. Contact : contact@humanrightsandbusinessaward.org

L’OFRANEH est le sixième lauréat du prix annuel. Les lauréats précédents sont :